Prémisses intimes

Publié le par _Camille_



En l'honneur du Salon du livre, voici un extrait de celui dont je me délecte en ce moment :
La Conversation amoureuse, d'Alice Ferney.

Magnifiquement écrit, juste et subtil, il raconte "dans le bruissement d'une convertation amoureuse qui les reflète toutes, l'histoire d'un homme et d'une femme livrés par la magie des mots à leur adultère séduction et au dangereux bonheur du secret qu'ils s'inventent."

Simplement sublime.


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"Comment s'appellent vos enfants ? demanda-t-il, pour dire quelque chose. Et aussitôt, il fut horrifié de s'entendre ! Que racontait-il ?! Il fallait qu'il fût bien intimidé malgré tout. On triche parfois tellement qu'on voudrait rire. Il voulait lui dire J'ai envie de vous, et voilà qu'il lui parlait de ses enfants ! Et il savait très bien qu'elle en avait qu'un ! Voilà qui ne lui ressemblait pas. Il n'était même pas fichu de parler. Il la regarda en souriant parce qu'il avait presque pitié de lui-même. Elle avait encore les joues empourprées. Elle n'était pas meilleure que lui. Ce silence si électrisé... Non, ils ne savaient pas encore se parler et tournaient dans l'inessentiel, pris par leur secret éventé et trop de regards qui se croisaient, s'enfuyaient, se cachaient. Ou bien dans les yeux ou bien à la dérobée : aucun regard n'était innocent. Mais elle entra dans cette conversation fausse. Elle n'avait qu'un fils qui se prénommait Théodore. Et votre fille ? demanda-t-elle avec courtoisie. Car elle était de ces femmes que la politesse ne rebute pas, et qui sont capables de faire ou dire par urbanité les choses les plus dépourvues d'intérêt. Ma fille s'appelle Sarah, dit-il d'abord. Puis il ajouta, comme s'il se défendait d'un jugement : Mais ce n'est pas moi qui ai choisi. Il s'expliqua : Mon épouse a jugé que la grossesse et l'accouchement lui donnaient le droit de prénommer l'enfant sans me demander mon avis. Et n'aimiez-vous pas ce prénom ? poursuivit-elle, un peu gênée de ces confidences qui évoquaient sa femme. Pas tellement, avoua-t-il. Il chercha ce qu'il voulait dire et ajouta : Pour moi, Sarah, c'est le prénom d'une vieille femme. Il dit encore : Ma fille a fait disparaître la vieille femme. Mais la vieille femme a fait disparaître ma femme ! Ce n'était pas très clair, mais il était drôle et triste et cet ensemble chez un homme était émouvant. Elle choisit de rire, parce qu'il cherchait de toute évidence à la faire rire. Il vit qu'elle avait de jolies dents, intactes comme celles des jeunes enfants. Il vit que ses yeux devenaient des fentes noires comme ceux des Chinoises, parce que ses cils étaient très foncés pour ceux d'une blonde. Aucun homme n'oserait répéter assez comme le corps d'une femme est présent, emporte le morceau aussitôt ou jamais, se prononce avant le conquérant, fait des confidences, attire ou repousse à lui seul le corps d'à côté. Un corps qui déciderait de tout ! Un corps ! Cela semblerait si peu... et c'était pourtant ce qui était là, ce qui bougeait, ce qui respirait, ce qui diffusait les subtils parfums secrets et tout-puissants : ce qui le prenait. Il la vit rire. Son nez se plissait à l'endroit où l'on pose les lunettes. Il aurait voulu cesser de la regarder de cette manière fascinée, mais il ne pouvait se retenir de le faire. Il était captif de ce visage. Et celle qui le portait par-devant elle, comme un filet, savait bien lire cet infatiguable regard. Voilà un homme qui tombait amoureux d'elle. Elle ne pouvait pas se tromper. Une partie d'elle-même s'en réjouissait, une autre était troublée, et ainsi coupée en deux, entre clairvoyance et timidité, elle alternait une manière d'être fatale et une autre godiche. La confusion lui rendait cet homme invisible. Il n'était pas beau, mais elle ne s'en rendait plus compte du tout. Parce qu'il ne voyait qu'elle, elle ne le voyait plus. Cette sorte d'effroi qui paralyse les proies devant les prédateurs avait gagné sa pensée : elle n'avait plus de mots. Elle n'avait que des émotions. Elle se sentait dépouillée d'elle-même par un regard. Les femmes qui sont admirées sans le chercher comprendraient cela mieux que celles qui s'égarent toutes seules dans la frénésie de plaire. Elles savent combien le trouble d'être observée empêche d'apercevoir l'émotion de celui qui regarde. Et les questions se posaient. Il était amoureux. Très amoureux ? Pouvait-elle se tromper ? Se monter la tête alors qu'il se moquait d'elle ? L'évidence et le doute avaient commencé une java."
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Publié dans Comme ils disent

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